Boys don’t cry

J’ai 16 ans ce soir. Je mourrai dans une veste à carreaux oversized, à foutre des coups de pied dans un réverbère en écoutant du shoegaze. Le sentiment remonte puissant, ce soir, et pourtant c’est le premier soir depuis des années que j’ai pas envie de taper dans un réverbère. Le premier soir que je me tiens droite et grande, de nouveau, enfin. Y a juste le shoegaze qui remonte de je ne sais où, et la veste à carreaux oversized.

Je l’ai dépassé maintenant, j’ai quelques années de plus que ce qu’il avait quand il est mort. Pourquoi c’est à lui que je pense? J’ai pas pleuré pour lui, j’ai chialé pour moi, toutes les larmes et toute la rage de mon corps. Comment j’allais faire pour m’en sortir si la seule autre personne aussi bizarre que moi s’en sortait pas? Comment j’allais y croire sans lui? Comment il pouvait croire que j’étais plus solide que lui? Que de la gueule, de la poésie et des grandes tirades cryptiques de sphinx mystificateur. Un leprechaun, je te dis, petit mec tout sec et dégingandé, le soleil dans son sourire, les taches de rousseur, le gout pour la pagaille, la totale. Que de la gueule. Je pense toujours un peu à lui quand j’ai envie de casser des trucs. J’ai jamais aimé quelqu’un comme ça.

J’ai remarqué quelque chose hier : j’ai ton visage quand je chante. Ma mâchoire descend légèrement, mon menton recule un peu. Je sens la tension de mes muscles canins qui s’accentue, je joue un peu avec. En avant, en arrière, tendu, détendu. Je savoure en bouche ce léger chuintement, tout léger, si discret, dont tu parsèmes ton discours. Il a la texture d’un G. Moelleux. Je forme sur tes lèvres les mots que j’aimerais y voir fleurir. Ils sont plus doux que ceux que tu y as déposés. Je t’exhale, te râle, te chante ma peine de toute la puissance de mes poumons. Puisque je ne peux pas te faire face…

C’est irréfléchi, instinctif. Je te chasse constamment et je n’avais pas réalisé que tu étais là, lové dans ce que j’ai de plus animal, de plus viscéral, de plus vrai. Je refuse de te chanter depuis si longtemps, donc c’est toi qui finis par me chanter, je suppose. C’est à ce point que je t’accompagne, que je te ressens, que je sympathise.

Que de la gueule.

Je sais pas comment faire pour m’en sortir si la seule autre personne aussi bizarre que moi ne s’en sort pas. Alors je chante, pour réparer, pour dire, pour nous donner du courage. Je ne peux pas faire mentir l’histoire, mais je peux dire des possibles, et tout ce que je chante existe. Tu existes.

Je le lui avais demandé, un soir. « Est-ce que j’existe dans tes mondes? » il m’avait répondu « avec tout ce que ça implique, oui, bien sûr ». Foutu sphinx mystificateur.

Comme si j’avais besoin de demander. Il choisissait continuellement d’être au pire endroit du monde, parce que c’était là où j’étais. Jusqu’à ce que je parte. Et un jour j’ai dû arrêter mes conneries et rentrer parce qu’on m’a annoncé que je ne pourrais plus jamais m’endormir en serrant sa main. Il n’existait plus dans mon monde.

T’as pas le droit d’abandonner. T’as pas le droit.

Ce soir j’ai marché grande, fière et moi. Enfin restaurée. Enfin apaisée.

Bande-son : Pearl Jam – Wishlist

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