Du bon usage des smartphones, s’il y en a

du 6 décembre 2024 : « Et si je rangeais le smartphone un mois ? »

C’est justement la question à laquelle j’ai décidé de répondre, mais pas pour un mois, idéalement indéfiniment.

Je suis arrivée trèèèès tardivement sur le marché du cellulaire, quelque part en 2009 ou 2010, et encore plus tardivement sur le marché du smartphone, je crois que j’ai dû abdiquer quand j’ai détruit mon slidephone en 2016 (mes repères temporels sont bien cassés mais c’est quelque chose dans ce goût-là, promis).

Du coup l’envahissement n’a pas été progressif chez moi mais soudain et très brutal, d’autant qu’il a coïncidé de très près avec la disparition de services physiques remplacés par des obligations d’installer des apps : plus de guichets ou de timbres chez l’assureur-maladie, des lecteurs nécessaires pour chaque 2FA propriétaire imposé par chaque service, l’e-banking devenu la norme, et j’en passe.

Bien sûr je suis tombée dans le piège d’autant plus fort que j’ai toujours été relativement à l’aise avec la technologie et même plutôt techno-enthousiaste. Ce qui semble constituer un contraste étrange avec ce refus borné de sauter le pas du téléphone portable : pourquoi donc une telle résistance, et si longue?

Ben, déjà, parce que je suis une meuf des bois. Tout se résume très simplement en six mots qui font péter un plomb à mes proches depuis toujours : je n’aime pas être joignable. Si j’ai décidé de me barrer faire un tour c’est pas pour vous répondre au téléphone. Si vous ne savez pas où je suis il y a peut-être une raison. Je n’aime pas non plus – et j’ai pu observer cet effet dès que mes potes ont mis la main sur leurs premiers iPhone – ce que ces machines font à nos relations sociales. Vous avez déjà été la seule personne sans téléphone portable dans une soirée? C’est pire que d’être la seule personne qui ne boit pas. Non seulement vous vous sentez isolé, mais vous ne regardez même pas les autres se marrer entre eux en faisant des blagues stupides de gens ivres, vous les regardez être isolés et silencieux les uns à côté des autres. Ce n’était pas un cercle fermé que j’étais impatiente de rejoindre.

Ensuite parce que je suis une meuf à PDA. Mon ordinateur de poche me sert à : palier aux défaillances de mes capacités cognitives, qui me mettent plus souvent dans le mal qu’elles ne me rendent service. Je consulte mon agenda, stocke mes contacts, prends des notes, écris parfois ce que j’ai l’urgence d’écrire, monitore mes fonctions qui ont besoin d’être monitorées, utilise des réveils, des alarmes, des minuteurs et des rappels, et c’est à peu près tout. Je n’utilise pas vraiment d’apps. Je n’ai jamais lancé un jeu sur mon téléphone. Même pas snake. Je regrette amèrement mon petit Palm. Je me contenterais tout à fait d’un appareil du même acabit avec des fonctions très minimalistes et un affichage en noir-blanc, un truc qui ne me demanderait que de recharger ses batteries une fois par semaine et de le consulter quand j’en ai besoin, et c’est tout.

Pas besoin d’appareil photo ou de prise jack non plus. J’ai un vieux coolpix qui me sort des images raw de très bonne qualité à plus de millions de pixels que mon oeil ne peut en discerner et pour la photographe amateure que je ne prétends pas même être, c’est amplement suffisant. J’ai un lecteur audiophile muni d’un stockage immense qui lit mp3 comme ogg ou wav avec un son superbe qu’aucun smartphone ne peut revendiquer. J’aime assez l’idée d’avoir un appareil par usage, d’ailleurs c’est l’habitude que j’en ai eu jusqu’à ces quelques dix dernières années. Je sais, ça fait beaucoup d’appareils supplémentaires (enfin, sauf si tu as gardé tes vieilles machines et qu’elles te conviennent encore, comme moi, ou que tu en trouves d’occasion puisque plus personne n’en veut parce qu’ils ont des smartphones qui font tout), mais crois-moi, tu sous-estimes le confort d’écouter de la musique, juste de la musique, sans être interrompu par des pubs ou des notifications de messagerie, de prendre des photos de cette jolie cascade sans te couper de ton moment dans la nature et de ne pouvoir la poster sur les réseaux qu’en rentrant, de pouvoir assister à ce concert à travers tes propres yeux plutôt qu’à travers l’écran de ton téléphone qui filme l’écran du mec devant toi, de consacrer l’intégralité de ton attention aux gens autour de toi plutôt que la partager avec ceux qui ne sont pas là dans l’immédiat. En tout cas, moi, ça me manque.

Et puis il y a le problème de la disparition de ces services « analogiques », justement, dont je trouve qu’on se préoccupe trop peu. Si j’ai finalement abdiqué à la possession d’un GSM, c’est à cause de la disparition des cabines téléphoniques. Que vous ne puissiez pas me joindre ou me localiser, c’est une chose, que je ne dispose d’aucun moyen de contacter les secours ou de me faire localiser, c’en est une autre… Mais ça ne devrait pas devenir un calvaire d’acheter des timbres, communiquer avec son assureur ou effectuer un paiement si l’on a pas accès à un smartphone. La fracture numérique m’inquiète, mais pas seulement : aussi la disparition des emplois dans le sillage de la virtualisation des guichets, aussi notre asservissement systématique à ces appareils qui deviennent aussi vitaux qu’un moyen auxiliaire pour pouvoir tout simplement faire subsister une identité légale dans notre système social.

Identité légale qui est chevillée de bien trop près à des corporations hégémoniques qui se servent de ces « pacemakers sociaux » pour enfreindre systématiquement notre droit à la vie privée, avec l’accord et la complicité de nos gouvernements. Et comme je ne suis pas corporatiste ni spécialement fan des dystopies…

Or donc, je décidai de rétropédaler, d’abandonner le smartphone et de revenir à mes bonnes vieilles habitudes, non pas pour un mois mais idéalement, indéfiniment. J’ai d’ailleurs franchi la première étape ce noël grâce à un cadeau inattendu : un bon vieux « dumbphone » à clapet et à grosses touches moches de vieille, équipé toutefois pour la 4G, dans lequel je me suis empressée de transférer ma carte SIM – celle avec 6go de données par mois qui ne vont strictement me servir à rien, puisque je ne peux pas vraiment naviguer sur ce dumbphone ni faire de partage de connexion, mais je n’ai pas trouvé d’abonnement (moins cher) avec moins de données, et « sans internet » semble être devenu de la pure fiction.

Je peux d’ores et déjà affirmer que la solution est imparfaite : le bouzin n’est équipé que d’un calendrier rudimentaire qu’on peut alimenter d’un fichier CSV mais qui n’a aucun moyen – même filaire – de communiquer avec son homologue sur la tour et, si t’as bien suivi, c’est la première fonction que j’attends d’un ordinateur de poche, la seule vraiment nécessaire à ma survie en temps que personne affligée d’une mémoire de poule pour les trivialités de la vie de grande personne (à peu près). En l’absence de PDA compagnon (ou ce téléphone ne pouvant être l’accessoire-compagnon du PDA principal), ce ne pourra donc être qu’une solution temporaire.

L’absence de GPS est une autre limitation à laquelle il va falloir que je pallie, soit par l’achat d’un stock invraisemblable de cartes routières et de cartes de randonnée (c’est à cet instant précis que je réalise que je suis bien plus nomade que je ne le pensais), soit par l’acquisition d’un GPS dédié – mais un seul? Ou deux? Ou trois, même? Oui car je suis randonneuse mais aussi cycliste et occasionnellement automobiliste – soit par des itinéraires préconçus sur ma tour, exportés (de l’impression papier en perspective si aucun support numérique… bleh) et une confiance un peu trop aveugle en mon sens de l’orientation et en mon sens logique une fois en route (et sacrifier toute spontanéité dans le choix du joli petit sentier à suivre, ce qui me flinguerait 80% de mon fun), soit… trouver comment confier cette tâche à un ordinateur de poche.

Pour les réseaux sociaux et les messageries, je peux très bien y accéder depuis ma tour et je trouve ça beaucoup plus sain d’y cantonner l’usage; je n’ai pas de raisons d’être davantage joignable sur Signal que je ne le suis par SMS lorsque je ne suis pas spécifiquement devant un écran.

Les autres fonctions sont déjà couvertes par d’autres appareils en ma possession depuis de longues années, ce qui n’est pas sans me provoquer une petite pointe de fierté vis-à-vis de ma mesure économiquement et écologiquement parlant, ce qui tient de l’exploit pour une techno-enthousiaste (certes, c’est facilité par mon manque de fonds, mais pas que, je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt de remplacer un truc qui fonctionne parfaitement bien et qui fait le job que je lui demande).

Reste la mission difficile mais pas irréaliste de retourner à des transactions intégralement manuelles, du payement des factures aux payement à la caisse, et de me débrouiller pour trouver toutes les alternatives possibles que les divers acteurs de nos vies socio-économiques sont légalement tenus de fournir à tous les illettrés numériques et tous ceux qui ne peuvent ou ne souhaitent pas s’équiper d’un smartphone… Et la tâche est bien plus ardue qu’elle ne pourrait y paraître de prime abord.

En l’état, à mon grand désarroi, je me balade encore avec mon dumbphone dans une poche et la brique qu’est mon smartphone dans l’autre, « le temps de mettre la transition en place », essentiellement pour me servir de GPS et d’agenda. Si vous, qui me lisez, possédez la solution à ce problème de PDA-GPS sur une OS libre ou dégooglisée, faites-moi signe, sinon il se pourrait bien que je finisse par bidouiller un truc moi-même.

Affaire à suivre, donc. Premier bilan dans un mois.

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