Ceci est le troisième article d’une série de réflexions engendrées par le visionnage de la série « Adolescence », souvent mise en regard d’une autre série qui lui est contemporaine, « Bref 2 ». Si vous venez d’arriver et souhaitez plus de contexte, le premier article se trouve ici, et le second là. Comme dans l’article précédent, tout ce qui va suivre sera bourré de spoilers, donc si vous n’en avez vue aucune des deux, c’est le moment de quitter cette lecture et d’aller les visionner.
Quand j’ai posté sur Pleroma la vidéo de Gregoire Simpson que j’ai déjà citée dans les deux articles précédents, en avançant qu’elle posait de bonnes bases pour la compréhension des dynamiques violentes dans les relations intimes, quelqu’un s’est empressé de me traiter de profem misandre, parce que je m’offusquais que dans Bref 2, une de ses exs lui pardonne un peu trop facilement à mon goût au début de sa prise de conscience, pulvérisant le record de la durée de temps entre le moment où je débarque sur un réseau social et le moment où j’ai envie de me casser en traitant tout le monde de taré. Un mois, quasiment jour pour jour. GG.
Alors.
1. ce commentaire était super violent et un tout petit peu précipité peut-être
2. il était extrêmement simpliste et manichéen
3. c’était un condensé de exactement tout ce que j’ai à reprocher et aux réseaux sociaux et à la « militance » sur ceux-ci.
Il pourrait être plus sage et plus efficace d’essayer de comprendre à qui on a affaire avant de sortir les griffes, histoire de s’assurer de ne pas rentrer dans le lard de quelqu’un qui dit exactement la même chose que nous – enfin, de mon point de vue, il faudrait ne pas rentrer dans le lard des autres à chaque fois qu’on pourrait avoir un débat posé à la place.
Arrêtez avec ça. Les gens qui sont pas d’accord avec vous ne sont pas violents. La contradiction n’est pas une forme de violence. Les militants des RS, il faut impérativement que vous baissiez votre niveau de défensive d’un bon cran ou deux parce que les jabs passifs-agressifs, les insultes et les accusations dans tous les sens, ça ne sert absolument pas à faire avancer le débat sur les oppressions que vous entendez dénoncer, et c’est exactement l’opposé de l’intersectionnalité que vous prétendez défendre. Si vous voulez faire avancer les choses – par exemple, la prévention, la prise en charge et la réduction des violences interpersonnelles – plutôt que votre idéologie, il va falloir s’apaiser un peu et admettre que les choses en question sont plus complexes que des problèmes à réponse oui / non et qu’il va falloir apporter un peu de nuance dans les débats, parce que la logique « t’es avec moi ou t’es contre moi » ça ne nous mène nulle part. Heureusement qu’on me pourrit pas la gueule comme ça dans les commentaires ici – ou que j’ai bien réglé mes filtres, je saurai jamais et ça me va très bien comme ça – enfin, dans tous les cas, comme d’habitude, blog 1, réseaux sociaux 0.
J’en profite pour résumer grossièrement les deux articles précédents : Oui, je suis féministe. Non, je ne déteste pas les hommes par défaut. Oui, les femmes et les personnes non-binaires peuvent être, et sont, auteurs de violences. Oui, il existe une forme de violence qui est exercée exclusivement par les hommes, et exclusivement à l’encontre des femmes. Oui, le patriarcat est un vrai truc, systémique, qui péjore la qualité de vie de toutes les femmes dans le monde et la met souvent activement en danger. Oui, les femmes sont disproportionnellement touchées par les violences intimes, disproportionnellement sévères, et de façon disproportionnée de la part d’hommes. Oui, le patriarcat y joue un rôle. Non, toutes les violences intimes ne sont pas patriarcales. Oui, les hommes, les personnes non-binaires et les couples non hétéros sont aussi concernées par les violences intimes. Toutes ces réalités peuvent coexister, et coexistent effectivement. Toutes doivent être prises en compte malgré leurs apparentes contradictions si on veut vraiment faire disparaître les violences intimes.
Mais si je fais référence à ce commentaire, ce n’est pas en forme de « revanche » ou pour prouver que je suis la plus intelligente, mais parce qu’il m’offre une super ouverture pour développer ce dernier volet, dont je vous avais dit qu’on allait y parler de réinsertion, de réparation et de rétribution (vous l’aurez deviné, je suis partisane de la justice restaurative, je pense que mettre les gens en taule c’est comme envoyer son gamin dans sa chambre et croire que ça va le faire changer magiquement d’attitude).
Pour recontextualiser ce que j’estimais sur Pleroma être des excuses pourries dans Bref 2 : Marla est l’ex du personnage principal. Elle a été son « plan-cul » pendant qu’il était en couple avec une autre meuf, totalement à son insu. Confronté pour ses infidélités et ses mensonges, il a préféré l’autre femme à Marla. On comprend dans la saison 2 à l’aide de quelques flashbacks qu’ils se sont mis en couple par la suite, et qu’il a à nouveau été infidèle. Lorsque Marla lui a proposé d’ouvrir le couple pour qu’elle puisse elle aussi aller voir ailleurs, il a réagi avec colère et jalousie. Des années plus tard, il commence à prendre conscience que son comportement était à chier, lui demande confirmation (« est-ce que je suis le mec du film? » – l’autre meuf avec qui il était en couple a fait un film sur leur relation pourrie et son impact sur elle), et Marla, super enthousiaste, le lui confirme et le félicite de s’en être enfin rendu compte. Il lui présente des excuses en forme de « je suis désolé, alors » et elle les accepte, super contente qu’il ait enfin changé.
La personne du post de réseaux sociaux cité plus haut me reprochait – ainsi qu’à l’auteur de la vidéo de référence – de ne jamais vouloir pardonner le personnage parce que c’est un homme et que tous les hommes sont caca et qu’ils doivent être punis pour l’éternité.
Alors que mon problème, c’est que ce personnage a un ENORME historique de mensonge, de manipulation, de mépris pour les émotions de ses partenaires et d’évasion de ses responsabilités. C’est très bien qu’il reconnaisse qu’il fait des conneries, mais c’est pas rare non plus chez les auteurs de violence (ce n’est cependant pas tous les auteurs, certains ne reconnaissent jamais aucun tort). Il y en a beaucoup qui sont conscients d’être violents, qui nomment leur violence, qui s’effondrent en excuses et en culpabilité… Et qui recommencent quelques jours plus tard. Dans la conceptualisation du modèle du « cycle de la violence« , on appelle ça la « lune de miel », et les spécialistes tenants de cette théorie pensent que c’est l’un des outils pour maintenir la victime dans la relation violente et sous le contrôle de l’auteur : ces périodes d’accalmie et de remords lui font espérer qu’un changement est possible, que son agresseur a enfin pris conscience du problème. La chute n’en est que plus dure.
Les victimes ne demandent que ça, de pardonner. Tout ce qu’elles espèrent, c’est que leur agresseur arrête enfin ses conneries, se prenne en main et répare les dégâts faits sur la relation et sur la psyché de la victime… Et elles s’en prennent plein la gueule à répétition précisément à cause de cet espoir et de cette clémence, parce que les auteurs ont tendance à considérer que le pardon qui leur est accordé facilement relève d’une faiblesse de la part de leur victime, qu’ils jugent trop naïve et stupide. À leurs yeux, tout ce qu’ils perçoivent comme une faiblesse chez leur cible est un défaut qui mérite d’être exploité pour être corrigé : « ça t’apprendra à être aussi débile ». C’est ce qui est expliqué dans la dernière partie de la vidéo de Gregoire Simpson, quand il parle de la relation du personnage de Bref 2 avec son père, qui trouvait justifié de le punir parce qu’il était faible, vu qu’il considérait sa faiblesse comme un défaut. Les victimes ont donc intérêt à ne pas pardonner « aveuglément », pour assurer leur propre sécurité.
Ensuite, même dans la plus saine des relations, les excuses ne suffisent pas. D’une part, présenter ses excuses, ça implique qu’on a compris ce qui avait fait mal et qu’on s’engage à faire tout le nécessaire pour que ça ne se reproduise pas. Dans Bref 2, les excuses sont donc largement prématurées, parce qu’il en est au point où il commence tout juste à penser que peut-être il s’est effectivement comporté comme un connard. On a d’ailleurs confirmation du fait que c’était trop tôt, puisqu’il fout en l’air sa relation suivante en se comportant de nouveau comme un connard.
Et puis les excuses, c’est la toute première des étapes. Après, il faut réparer les dégâts qu’on a fait, en démontrant sur une période de temps suffisante qu’on ne va pas reproduire le comportement qui a blessé l’autre, et prendre soin de cette blessure pour aider à sa guérison. Ça nécessite de comprendre que les émotions négatives ne vont pas disparaître avec deux mots magiques, et que la durée de la cicatrisation n’est pas réductible, qu’elle va prendre du temps, et des efforts actifs (une trahison ne se répare pas juste en laissant de l’eau couler sous les ponts). Ça nécessite aussi d’accepter que la douleur a peut-être été trop grande, la trahison trop profonde, qu’on a définitivement foutu cette relation en l’air, et que le pardon n’est pas au menu. C’est absolument dans le droit de la victime – il y a des gens dans ma vie à qui je ne pardonnerai jamais, leurs offenses ont été bien trop graves. On ne peut pas exiger, ni précipiter le pardon. « Ça va, je me suis excusé, tu veux quoi de plus? » , « Ça fait deux semaines, tu peux pas passer à autre chose? » ou même « tu refuses de me pardonner parce que je suis un homme et que tu détestes les hommes », c’est quoi à votre avis? Eh oui, c’est violent.
Un de mes shows youtube préférés, Cinema Therapy, a justement sorti une vidéo sur le sujet il y a quelques jours : en se basant sur la série de films d’animation « how to train your dragon », ils abordent le thème de la réparation relationnelle. Et justement, la personne qui passe sur le grill est une femme (si besoin il y avait de le préciser, la chaîne Cinema Therapy est inclusive, alliée LGBTQIA+ , paritaire dans les exemples choisis, bienveillante, et fait de son mieux pour éviter et remettre en question tous les biais qui pourraient se présenter sur le chemin.) Pour toutes celles et ceux qui seraient en pleine remise en question et cherchent une feuille de route sur comment réparer les dégâts, les sites qui se penchent sur la justice réparatrice ou restaurative (surtout en anglais, « restaurative justice ») proposent foison d’excellentes ressources. Je vous propose par exemple cette bullet list en plusieurs points détaillés. Pour ceux qui sont plus tournés vers la psycho, l’Institut Gottman , un centre qui a axé toute sa recherche sur la santé du couple, propose tout un tas d’outils facile d’accès et simples à actionner. Si vous avez envie de faire ces changements, beaucoup de monde a travaillé pour vous y accompagner.
Et si vous avez envie d’impliquer dans ce processus la ou les personnes qui ont subi vos comportements, par exemple en leur présentant des excuses et en entamant avec eux un processus de réparation, assurez-vous d’abord qu’ils sont prêts pour ça. Certains, comme Marla, seront ravis de vous soutenir. Certains ont besoin de vos excuses, mais ne peuvent pas vous aider dans votre processus de changement. Certains encore ne peuvent plus entendre parler de vous. Mais dans tous les cas, les personnes que vous avez fait souffrir ne vous doivent pas de vous réparer.
Du côté de la victime, aussi injuste que ça puisse paraître, cela fait aussi partie de leur travail de guérison d’accepter qu’un agresseur réellement réhabilité qui a fait amende honorable, tout son possible pour réparer les dégâts, et ne récidive pas, a le droit d’avoir une vie au-delà de son offense, ne nous doit pas une mortification éternelle, et qu’il nous appartient de guérir des éventuels traumas résiduels et de nous offrir à nous-mêmes une vie au-delà de l’agression.
Et j’ai parfaitement conscience qu’avec les systèmes punitifs et oppressifs en place, ce schéma de réparation n’arrive pour ainsi dire : jamais.
J’ai aussi conscience que certains agresseurs prennent plaisir à maintenir la plaie ouverte en empêchant leur victime de passer à autre chose, sans jamais prendre la moindre responsabilité, parce que ça leur permet de garder une certaine forme de pouvoir sur leur victime.
Personne n’est obligé de pardonner. Jamais. Et certainement pas quand l’auteur n’a rien fait pour réparer ses conneries et continue d’être nuisible. Mais ne pas pardonner n’équivaut pas à se punir ou à se venger, ni non plus à maintenir ouverte inutilement une plaie dont la guérison nous ouvrirait la possibilité d’une vie plus sereine et épanouie.
Souvent, s’en foutre et laisser notre agresseur faire le singe dans le vide (quand il cherche à nous nuire) est une excellente stratégie pour se sentir mieux, si on peut se permettre de le faire en sécurité. C’est aussi une excellente opportunité pour eux de prendre conscience que cette stratégie relationnelle ne fonctionne pas, et d’essayer autre chose. Contre-intuitivement, renoncer à punir l’autre peut parfois être une opportunité de changement pour eux.
Mais qu’on soit bien clairs, il ne s’agit en aucun cas de mettre cette stratégie en œuvre tant que vous n’êtes pas en sécurité. Ne perdez pas de vue qu’une personne violente n’est jamais aussi dangereuse que lorsqu’elle sent qu’elle perd le pouvoir ou qu’elle est ridiculisée (rappelez-vous, le chien qui casse sa laisse et s’enfuit…). Et même à ce moment-là, si vous avez l’impression qu’arrêter d’être en colère c’est lui dire que son comportement est OK, ou si vous avez encore besoin d’être en colère, eh ben restez en colère. Cette émotion a une fonction : elle vous permet de maintenir les murs qui signifient ce qu’on peut ou ne peut pas se permettre de faire avec vous.
De façon générale, il n’y a pas de limite de temps au bout de laquelle il n’est plus approprié de ressentir ce que vous ressentez, ni d’émotions qu’il n’est pas approprié de ressentir. Ces situations sont bordéliques, et douloureuses, et compliquées, et prennent un temps fou à démêler, même quand elles sont terminées. C’est comme ça. Soyez patients et compréhensifs avec vous-mêmes.
Il n’y a qu’une seule règle : Ne vous faites pas de mal. Ne faites pas de mal. Guérissez-vous. Soutenez ceux qui ont besoin de soutien. Faites votre part pour briser le cycle. Et prenez soin de vous et des autres.
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