sur un tableau blanc dans la cuisine, un dessin au marker de Benjamin Franklin qui dit "uwu"

My crush on Ben

du 6 mars 2025 : « Vous pouvez passer une journée avec une personnalité ayant existé, vous faites quoi avec qui ? »

Une fois, je me suis retrouvĂ©e dans un atelier commanditĂ© par le chĂŽmage, sur le papier une ou deux semaines, je ne sais plus trop, pour apprendre Ă  passer des entretiens d’embauche et rĂ©diger un CV, mais du contenu d’un niveau si rudimentaire et idiot – d’autant plus que j’ai « quelques » UE validĂ©es en lettres-langues et en lettres modernes – que formellement il s’agissait probablement d’une ou deux semaines pour vĂ©rifier si j’Ă©tais foutue de me lever tous les matins Ă  six heures et prendre le train pour me rendre dans des bureaux (non) et si, une fois dans ces bureaux, j’Ă©tais capable de me tenir correctement pendant qu’on me dĂ©versait sur la tĂȘte un fatras d’ineptie d’un manque d’intĂ©rĂȘt Ă  mourir (toujours non, comme on va le voir par la suite) et de m’acquitter de tĂąches rĂ©pĂ©titives et inutiles efficacement et sans broncher (ça fait un sur trois, c’est un bon score, non? … non?)

Et un petit matin, lors que le formateur nous berçait de son monologue monocorde assistĂ© de ses petits graphiques sur rĂ©troprojecteur, nous parlant de son mĂ©tier de formateur et de comment crĂ©er de l’engagement et un sentiment de rĂ©ciprocitĂ© avec les participants, il nous sort comme exemple cette fameuse question, « quel personnage historique aimeriez-vous rencontrer (ou ĂȘtre, je ne sais plus) ». La question Ă©tait prĂ©sentĂ©e sans nous ĂȘtre posĂ©e, mais je suis passĂ©e de la position « paresseux en train de lutter pour ne pas m’endormir sur mon petit cahier Ă  carreaux plein de petits croquis et vide de contenu » Ă  « debout les bras en l’air en train de hurler BENJAMIN FRANKLIN! » en une nanoseconde. Et bien sĂ»r j’ai eu droit aux quelques secondes de silence interloquĂ© avec yeux Ă©carquillĂ©s de toute l’assemblĂ©e, si familier, parce que c’est pas d’hier que c’est Ă©crit « comportement disruptif » dans mon dossier.

Eh oui, un pĂšre fondateur. Et oui, un ricain. Mais aussi et surtout un inventeur, un auteur, et probablement le plus grand socialiste et l’un des humanistes les plus mĂ©morables de notre histoire.

Parce que oui, bien sĂ»r, il existait des bibliothĂšques avant Ben Franklin, mais pas de bibliothĂšque de prĂȘt, tu sais, celles pour les pauvres, ceux qui ne font pas partie du country club ou de l’universitĂ©, pour qu’ils puissent accĂ©der Ă  la culture et emprunter des ouvrages. Sa « Junto » – un collectif d’hommes de l’art Ă  l’origine de cette bibliothĂšque qui fonctionnait un peu comme une coopĂ©rative – a mĂȘme dĂ©veloppĂ© une section de pompiers volontaires.

Parce qu’il a Ă©normĂ©ment ƓuvrĂ© pour l’Ă©ducation et son accĂšs universel, globalement.

Parce qu’il a travaillĂ© avec les urbanistes de Boston et de Philadelphie pour crĂ©er l’un des systĂšmes de tout-Ă -l’Ă©gout le plus performant de l’histoire – glissant dans les plans des petits tunnels de maintenance qui ont beaucoup servi au « passage » d’esclaves en fuite. Franklin Ă©tait devenu un fervent abolitionniste, qui est parti fĂąchĂ© avec tout son petit monde politique mais en les moquant de tout cƓur pour leur aveuglement sur le sujet.

Parce qu’il a Ă©dictĂ© des hygiĂšnes Ă  l’intention des crĂ©atifs qui sont de plutĂŽt bons conseils Ă  suivre, et qu’il a une calligraphie Ă©lĂ©gante, sobre et un peu scolaire, que je lui envie.

Et puis tout le monde connaĂźt le coup de la clĂ© et du cerf-volant mais est-ce que quelqu’un sait pour ses talents de musicien et notamment le fait que c’est lui qui a inventĂ© l’harmonica de verre, instrument qui a Ă©tĂ© interdit pendant des dizaines d’annĂ©es un peu partout dans le monde parce qu’il avait la rĂ©putation de rendre fou son auditoire? Res-pect.

Parce qu’il a fait tout ça en Ă©tant autodidacte, et a toujours refusĂ© de dĂ©poser des patentes sur ses inventions, qu’il disait devoir profiter au plus grand nombre. Il aurait tout mis sous « creative commons » si ça avait existĂ©.

Donc, que ferais-je si je pouvais passer toute une journée avec un tel homme?

Probablement passer quelques minutes Ă  hurler en continu pour son plus grand dĂ©sarroi, je suppose, dĂ©jĂ , et quelques autres Ă  me demander quel intĂ©rĂȘt il pourrait bien trouver Ă  s’entretenir avec quelqu’un comme moi. Et puis je lui parlerais de ce qu’est devenue sa nation, lui demanderais que faire pour enrayer la dĂ©gringolade qu’elle a entrepris et protĂ©ger activement ses citoyens et ceux de la planĂšte de ses exactions.

Je lui parlerais de la fin de l’apartheid, de ses victoires, de son hĂ©ritage, de la blague que c’est trop souvent devenu.

Peut-ĂȘtre que je lui montrerais Benjamin Gates, pour voir si ça le fait marrer.

Je lui toucherais deux mots sur l’Ă©tat actuel des sciences, essayerais – moi qui n’ai pas une once de ma personne qui soit capable en quelque science que ce fĂ»t – de lui entretenir des dĂ©couvertes les plus capitales que nous avons faites depuis lui. Peut-ĂȘtre qu’on irait faire un tour en ville, puis au CERN, histoire d’avoir des supports visuels et des interlocuteurs trĂšs nettement plus pertinents que moi.

Peut-ĂȘtre que je lui montrerais certains objets que j’ai designĂ©s, genre en rougissant des pieds Ă  la tĂȘte et en me trouvant TrĂšs Inepte, comme un gamin qui montre un dessin de sa maison Ă  son papa qui est en fait Michelangelo.

On ferait une jam. ObligĂ©. Je pense qu’il serait absolument fascinĂ© par les instruments Ă©lectriques, les amplis, les pĂ©dales Ă  effets, et probablement effarĂ© devant l’informatique et en particulier la MAO. Je lui ferais faire un petit tour par Pure Data. Je pense le perdre par lĂ .

Et ça ferait déjà une sacrée journée.

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