Un patron numérique sur mesure #1 … Le bloc de base

Tout le monde pète un plomb avec le prêt à porter. Les tailles ne conviennent à personne, si c’est serré sur les fesses ça flotte à la taille, ça flotte aux seins mais ça moule le ventre, c’est un enfer, ces tailles standardisées, ça n’existe que pour un type de physique qui est malheureusement imaginaire, et en ce qui concerne le corps des femmes qui varie très fort d’un individu à l’autre, ça oblige à cliver le monde entre taille normale et grande taille, ce qui est super pour l’ego, d’autant que les coupes grandes tailles consistent souvent à recouvrir le corps concerné pour le faire disparaître le plus possible au regard.

On voudrait bien pouvoir se faire un vêtement soi-même, durable, joli, et dans lequel on se sent parfaitement bien, seulement tout le monde n’est pas en mesure de tracer soi-même son patron, c’est une compétence qui demande tout de même un certain nombre de connaissances et qui prend du temps à mettre en œuvre.

Il y a bien une offre de patrons de couture, mais qui eux aussi correspondent à des tailles normalisées. C’est pas vraiment de la faute aux fournisseurs. Avant l’avènement du logiciel, tous les patrons étaient tracés manuellement, c’était impossible d’anticiper chaque variation corporelle. Mais l’informatique change beaucoup la donne : grâce aux logiciels de modélisme de mode, on peut tracer un patron en lui donnant suffisamment de repères (c’est le principe de la conception paramétrique ou CAD) pour qu’il s’adapte tout seul quand les variables désignées changent (par exemple, les tailles).

Seulement la formation de modélisme de mode et celle de design paramétrique c’est encore deux choses distinctes, et la plupart des concepteurs se contentent d’exploiter les extraordinaires possibilités de ces programmes pour se simplifier le travail de gradation (porter le même patron dans plusieurs tailles différentes)

Moi, ce que je voulais, c’est un patron qui ne se contente pas d’augmenter ou de diminuer de taille, mais où tout se modifierait en fonction d’un seul paramètre modifié. Ton tour de bras augmente? Hop, tu le rentres dans un formulaire, et tout le patron suit : le dessin complet de la manche, de l’emmanchure, les pinces, etc.

Il existe déjà des initiatives qui vont dans ce sens : freesewing propose une série de patrons intégralement gratuits avec un éditeur en ligne, barapatron , sewist CAD ou paternette par exemple sont autant de shops qui se proposent de générer un patron selon vos désirs.

C’est pas pour taper sur la concurrence, mais aucune de ces solutions n’a rencontré mes grâces. Dans le cas des shops, parce que la plupart se contentent de combiner différents designs et de baser leurs déclinaisons sur le principe de la gradation encore une fois (donc y a un tableau des tailles, en clair…)

Dans le cas de freesewing, parce que d’une part la quantité de modèles est limitée et pensée d’une façon particulière (on voit que les designs ont été créés avec la simplicité en tête pour s’assurer du taux de réussite du modèle) et d’autre part parce que la plupart… finissent par casser.

J’en suis venue à cette idée de patron paramétrique avec une raison bien précise en tête : j’avais une pathologie aux deux bras qui les a rendus très volumineux. Plus la maladie avançait, plus il m’était difficile de trouver des vêtements portables. Au dernier stade que j’ai connu, c’en était devenu ridicule : il aurait fallu que les manches de mon manteau soient en taille 60 ou plus, quand mon tour de taille était en 40 ou 42 tout au plus. Je te raconte pas les hivers dans ma montagne où il y avait du blizzard et on tapait parfois dans les -20 degrés Celsius, avec mes bras engoncés, mes mouvements limités, et le vent et la glace qui s’engouffraient contre mon ventre. Et impossible de trouver plus performant qu’une veste de bûcheron à carreaux doublé de pilou synthétique pour y caser mes invraisemblables œdèmes. Ça aurait même fini par constituer un risque, à la longue, et ça n’avait pas un effet merveilleux sur ma psyché de m’emballer dans des fringues quatre ou cinq fois trop grandes.

Donc il fallait que je me résigne à retourner à tracer mes patrons, ce que je savais faire mais n’avais plus fait depuis une petite éternité. Et connaissant par ailleurs le design paramétrique via le design d’objets pour l’impression 3D ou la découpe CNC, j’étais sûre qu’il y avait de quoi se faciliter considérablement la vie. C’est en cherchant dans ce sens que je suis tombée sur freesewing, où j’ai religieusement pété les limites de tous les designs avec ma circonférence de bras insensée. J’aurais bien pu contribuer à créer des designs davantage paramétriques pour cette plateforme, vu que c’est open source et basé sur la contribution, mais je n’ai malheureusement pas les connaissances pour la partie « patterns as code » et si j’ai cassé tous les modèles de la plateforme avec un seul paramètre, c’est peut-être que leur logiciel a cette limite qui ne me permettrait pas de réaliser ce que j’ai en tête.

Et donc j’ai continué à explorer mes possibilités et je suis tombée sur Seamly2d, un logiciel FOSS (gratuit et open source) forké de Valentina, de dessin paramétrique destiné spécifiquement au modélisme de mode, qui prend en charge suffisamment de fonctions trigonométriques pour permettre de contraindre intégralement un modèle avec beaucoup de souplesse. Je me suis donc basée sur ce support pour élaborer un bloc de base – le patron duquel découlent tous les patrons – qu’idéalement je voudrais universel et à partir duquel on pourrait, justement, développer tous les patrons. Et comme je me suis dit que les femmes, en population diverse et hétéroclite, doivent être nombreuses à rencontrer des problèmes similaires ou du moins analogues au miens, j’ai récolté un max de mensurations de contributrices anonymes et je me suis mise au boulot.

J’ai dû mettre ce projet en pause, ironiquement, parce que je me suis enfin fait opérer des bras, desquels on a sorti plus de six kilos de tissu néoplasique et fibrosé, des nodules, un cauchemar, troqué contre deux cicatrices qui vont de l’aisselle au coude et que je trouve plutôt badass, et à l’instant où je peux enfin me resservir correctement de mes bras et amener ce projet à son terme, l’oedème a fini de se résorber et je peux de nouveau renter mes petits bras de poulet dans toutes les coquettes petites merdes de prêt-à-porter qui me faisaient tellement déprimer il y a encore quelques semaines.

Heureusement, ou malheureusement, ce projet reste pertinent puisqu’il peut potentiellement répondre à d’autres problématiques de corps non-standards, et présenter une alternative viable et bon marché à certains vêtements spécialisés – d’ailleurs le patron de juste après (le fameux patron secret, pour ceux qui ont suivi) a aussi une destination utilitaire et sera également gratuit.

J’ai terminé le patron avant-hier, il est en ligne sur mon shop ko-fi où je trouve important de le mettre à disposition gratuitement (votre contribution volontaire à mon travail est bien sûr bienvenue) et où vous pouvez le trouver en plusieurs saveurs : tailles normalisées du 34 au 60 pour ceux qui voilà hein voudraient juste un patron gratos pour se faire un fond de base et / ou se fabriquer un mannequin sans trop s’emmerder, sur mesure à la demande contre une petite contribution pour ceux qui n’ont pas envie de mettre les mains dans le cambouis, et les fichiers à utiliser directement dans Seamly pour les bricoleurs qui ont envie de le mettre à leur taille et d’itérer directement à partir de là. Le tout est sous licence CC-BY SA, ce qui signifie que si vous souhaitez vendre un vêtement produit à partir de ce matériel, vous y êtes autorisé, à condition de créditer mon travail.

Patron bloc de base universel femme by Morayner’s Workshop is licensed under Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International

Pour cette dernière option, on va filer dans un autre article dans la section tutos & templates où je ne vais pas vous donner un cours complet d’utilisation du logiciel, mais vous montrer vite fait comment importer vos mesures sur le patron et comment exporter le patron à vos mesures pour l’imprimer et l’assembler.

Ah oui, dernier détail : Je me suis attaquée en premier au patron pour les femmes parce que pour une fois ça fait pas de mal que les femmes passent en premier quelque part – et aussi accessoirement parce que j’en suis une – mais un patron homme est prévu, il arrivera tôt ou tard.

Merci pour ta lecture, des bisous, et à tout de suite dans le tuto! Tu peux le trouver ici

Si tu veux soutenir mon travail, tu peux me payer un café ici logo du site ko-fi.com Merci beaucoup!

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