« Pourquoi le renard? »

Ca doit faire plus de vingt ans maintenant que je substitue mon visage par celui de ce facétieux petit mammifère hyperactif à chaque fois que je me représente. Je me tâtais depuis un moment à fournir une explication pour ce choix et puis, à la vue des différents logos, la question se pose de plus en plus régulièrement, alors je vais tenter de bredouiller des éléments de réponse.

Non, je ne suis pas issue d’une souche obscure de ‘furry’ droit échappée de DeviantArt (dont, au passage, j’estime personnellement qu’il s’agit d’une plateforme abritant des artistes ayant souvent beaucoup de talent.) Comme toutes les générations avant elle, celle qui se fout des jeunes internautes qui se « prennent pour des animaux » semble avoir la mémoire courte : n’est-ce pas elle qui nous a élevés au spectacle de ces dessins animés remplis de souris parlantes? Ne s’est-elle pas débauchée en regardant « Fritz the cat »? (Non, j’ai pas envie d’en parler. Non, vraiment, merci.) D’ailleurs, si tu les regardes bien les dessins ‘furries’, il y a une consistance de style qu’on peut faire remonter tout droit jusqu’à Don Bluth – qui doit se sentir bien peu de choses – et qui n’existe pas chez moi. Ce n’est pas mon kiff, et certains pans de cette culture me mettent même terriblement mal à l’aise, mais ce n’est rien de nouveau non plus.

À dire vrai, la thérianthropie dans l’art pictural est aussi vieille que l’histoire de l’humanité. Les premiers hybrides recensés ont vu le jour sur les murs de cavernes au Paléolithique. D’Anubis à Amarok en passant par le Kitsune, c’est aux quatre coins du monde et à travers toutes les mythologies que ces anthropozoomorphes se manifestent – et ils n’y sont pas le reflet de fantasmagories immatures mais, à travers de constructions culturelles, un emprunt à l’imagerie bestiale de sa force, de sa sagesse, de sa spiritualité; et témoignent aussi peut-être d’un plus profond respect et d’une cohabitation plus harmonieuse avec le règne animal.

Ces représentations historiques, amalgamées en un gros melting-pot, ont imprégnée profondément notre culture et nous avons tous des représentations totémiques des animaux qui nous entourent. Qui considérera le hibou comme un conteur, qui la belette comme une fourbe, qui le corbeau comme un messager de mort. Pour moi, à l’image d’Anubis, les canidés sont des psychopompes – non pas réduits à cette notion de passage entre la vie et la mort, mais plus largement, porteurs d’une symbolique de pont entre le monde rationnel et le monde spirituel, ou plus précisément, le monde émotionnel. La traversée n’est jamais qu’un simple passage de la vie vers le trépas, c’est tout un voyage initiatique, qui permet une nouvelle lecture de son vécu, un retour à soi, un apaisement. Je pense que la vie nous amène à faire ce genre de voyages à plus d’une occasion, et qu’en ces circonstances un « passeur » se révèle parfois dans notre entourage : une personne sensible à nos émotions, capable de les confronter et de les accompagner en douceur – parfois en toute discrétion.

C’est sans doute une lecture très personnelle, mais pour moi qui ai toujours aimé tous les canidés, d’un amour gamin qu’ils me rendaient bien, c’est le trésor qu’ils m’évoquent lorsque je suis en leur compagnie et si je n’ai pas la prétention d’avoir une personnalité si admirable, c’est bien vers cet idéal de compassion tranquille que je tends. J’ai passé des heures, enfant, à dessiner tous les représentants de ce taxon (animalia chordata vertebrata mammalia placentalia carnivora caniformia canidae) que je pouvais trouver dans mon encyclopédie sur les mammifères et bien d’autres heures encore à jouer avec certains des individus en étant issus. Mon obsession s’était d’abord portée sur les loups, animaux nobles et calmes dont la vie en meute dégageait une notion osmotique de loyauté, mais c’est en interrogeant mon entourage sur la perception qu’ils avaient de moi que Vulpes s’y est naturellement substitué : ce n’est personnellement pas tant à la ruse ou l’intelligence que les contes populaires lui prêtent que je me suis identifiée qu’à ce tempérament joueur et surexcité, quoique plus solitaire et réservé.

Je ne « suis » pas un renard, je ne me « sens » pas renard et je ne me prends pas davantage pour une divinité animiste. C’est tout, il n’y a pas de fabuleux mystère derrière ce choix. Simplement, tout comme mon avatar, je peine à me montrer, et me cacher derrière une paire d’oreilles cendrées est devenu une habitude tenace (au point que j’en ai fait un bonnet bien réel, je te montrerai à l’occase), bientôt aussi constitutive du personnage que le pseudonyme qui servait la même fonction et s’est progressivement transformé en carte de visite.

Moralité : choisis bien tes alias, ils pourraient petit à petit remplacer ton identité.

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