Bloguidien #8 – Une musique qui t’as marqué·e, retourné·e, ému·e et que tu souhaites absolument partager.

J’ai répondu très brièvement au thème précédent du Quelle qualité possèdes-tu que tu as du mal à reconnaître ou accepter ? Pourquoi ?
qu’il me demandait trop de parler de moi et de faire mon propre éloge et que j’allais éviter de répondre aux thèmes qui me font cet effet et littéralement quelques secondes après mon envoi le thème du jour Une musique qui t’as marqué·e, retourné·e, ému·e et que tu souhaites absolument partager m’a fait m’écrier « AH CA PAR CONTRE » et j’ai allumé ma tour en vitesse et donc me voilà.

Malgré tout c’est compliqué comme thème parce que ça exige que j’en isole une, de musique, alors que j’en ai une par humeur, une par époque, et plusieurs qui fonctionnent un peu comme de grands éléments fondateurs presque intégrés à ma personnalité, qui ont secoué ma vision du monde et sur lesquels je me retourne en temps de disette émotionnelle pour faire un petit backup de qui je suis dans mes meilleurs moments.

Est-ce que ce serait Vogt Dig For Kloppervok du groupe The Books? Il y a un truc que j’adore avec ce groupe c’est que ce sont eux qui font leurs clips et le résultat est tellement organique que je trouve difficile de savoir si c’est le clip qui a servi de support à l’écriture de la chanson ou l’inverse. Il y a quelque chose de très ludique dans toute l’œuvre de ces deux mecs qui m’évoque à la perfection la joie enfantine. Leur musique – du collage – obéit à peu de canons esthétiques, est très axée sur l’expérimentation – l’un des membres fondateurs est un genre de savant fou qui a construit un trébuchet à saloperies dans son jardin pour évacuer ses frustrations, il en parle même dans une de ses chansons, io, avec son groupe solo, Zammuto, elle est dans le clip d’ailleurs, « you gotta learn to love the smell when you ride the shit catapult », il passe son temps à inventer et fabriquer des instruments de musique bizarres et a construit sa maison, un homme selon mon coeur, d’ailleurs écoute Zammuto aussi c’est absolument merveilleux. Enfin qu’est-ce que je disais? Oui, très axée sur l’expérimentation, et pleine d’humour, de douceur, de joie de vivre. C’est vraiment comme une potion de résurrection pour moi quand ça va pas. Un petit coup de The Books et c’est reparti. C’est, je crois, le seul groupe qui m’a fait rire à haute voix et sourire à me décrocher la mâchoire à la découverte de chaque morceau de chaque album. Garanti de te faire retrouver un sens à la vie en trois minutes et des brouettes. Y a par exemple take time qui fait ça très bien (regarde le clip toujours) et le sens de la vie pour les scientifiques avec des fourmis, des poissons et beaucoup de beauté.

Vogt Dig For Kloppervok, en particulier, parce que je crois qu’il n’y a pas de point de sauvegarde plus exhaustif de tout ce que j’aime, de choses extérieures à la musique que j’ai accumulées dans mon stash de petits trésors de l’existence doudous qui rendent heureux. Le jabberwocky, la pluie qui tape doucement sur une vitre, dessiner dans la neige, un coucher de lune… Cette émotion très particulière qui est véhiculée dans ce morceau est celle que j’ai passé toute ma vie à tout faire pour ressentir, à cultiver, à affiner. Ce n’est pas de la joie, ni de la mélancolie, ni une exaltation explosive, mais un soulèvement tranquille, une excitation mais un peu plus, c’est un sentiment très vaste, un peu plus que ce que je peux contenir. C’est ce qu’on doit ressentir devant le grand canyon ou dans une forêt de sequoia millénaires. De l’émerveillement, le sentiment d’être en vie. C’est ça : cette chanson m’émerveille. Quand je l’écoute, je ne suis plus qu’un grand frisson continu.

Et puis il y a un truc dans ce clip, à ce timecode, qui m’a complètement bouleversée : « keeping your eyes gently closed… close your eyes tightly » et à l’image, on a un gros plan sur les yeux de cet homme qui d’abord bougent en tous sens, puis se calment, se ferment plusieurs fois de plus en plus doucement, avant que ses yeux ne se « retournent dans sa tête » puis se ferment doucement quelques instants, puis il les ferme très fort. Ça m’a immédiatement évoqué un abandon total à cette émotion puissante, puis comme un signal, « c’est parti ». Je me suis dit « ce mec sait voler », et ça a été le coup de foudre. C’est mon sport préféré, j’aime rencontrer d’autres adeptes. Tu rajoutes à ça l’infinie douceur avec laquelle il met en mélodie le jabberwocky à la fin, je ne pouvais qu’être conquise.

Xiu Xiu m’a fait un truc très similaire avec Apistat Commander . Âmes sensibles s’abstenir, c’est du bruitisme à l’état pur, quand j’ai essayé de partager ma joie d’avoir découvert ce groupe avec des copains, le terme qui est revenu le plus souvent est « viol cérébral ». Vous êtes prévenus.

Et c’est en quelque sorte exactement ce qui m’a attirée dans cette musique. Je l’ai tellement pas vue venir. Elle m’a embarquée dans quelque chose d’intense qui a fait accélérer mon cœur et ma respiration et m’a fait rire nerveusement, puis quand je croyais qu’on était tout en haut et que ça ne pouvait que redescendre et que mon cœur allait péter, ça a continué de monter. Un genre d’epectase musicale.

Xiu Xiu m’a beaucoup aidée à me débloquer en temps que musicienne. Les gens qui me disaient que c’est du viol cérébral étaient aussi souvent très critiques sur mes compos, sur mes choix de mixage délibérément sales, cassés et parfois stridents. Je suis allée les voir plusieurs fois en concert, en découvrant à chaque fois avec une infinie tristesse qu’il n’y avait que, littéralement, sept personnes dans le public. J’en ai voulu aux gens de ne pas faire honneur à leur talent, je les ai admirés de se déplacer depuis la Californie sûrement sur leurs fonds propres pour donner un concert à trois pelés et ne pas prendre ça pour un échec, et me suis dit que c’était ça, la vraie passion, et qu’ils ne s’arrêtaient sûrement pas aux critiques de compo bordélique et de mixage sale et de sons stridents et désagréables. Le frontsman de Xiu Xiu, Jamie Stewart s’est retrouvé sur mon motivational board, à côté de Tristan Tzara et de Adam Ben Ezra, accolé à la phrase

« Ceux qui n’aiment pas ce que tu fais… n’aiment pas ce que tu aimes »

Dans la même période je me gavais pas mal de Battles et Tyondai Braxton sortait son premier album solo, un objet très expérimental composé intégralement avec un micro, une guitare, une disto et une loop machine. J’en ai parlé assez extensivement un peu partout, notamment là

Tyondai Braxton. je suis arrivée là par le côté Battles et je suis restée pour History that has no effect, un objet sonique litanique distordu et hurlant d'une rare violence, témoin d'une douleur intime intense, un de ces albums trop agressif à la première écoute, qui est allé jusqu'à me faire pleurer incontrôlablement en public. cet album a toujours sur moi un effet incroyable, très physique, envahissant: il défonce complètement mes défenses.

ses albums suivants sont très différents : central market en particulier est une fable très imagée, dont la structure raffinée repose sur une organisation d'orchestre. La partition y est interprétée avec une intention particulière mise sur l'expression et un rapport au rythme plus libre que dans le rock. cet album m'a ouvert les portes de la musique classique contemporaine, dont j'ai découvert qu'elle n'est pas toujours prétentieuse et élitiste, mais même parfois carrément ludique et drôle, et très souvent super inventive.

en temps que musicienne, ça a été une véritable libération pour moi. ça faisait des années que je me torturais parce que grande amatrice de noise et de prog, je ne parvenais pourtant qu'à produire de la musique plutôt lente et douce (mais au facteur d'étrangeté préservé) et je me voyais comme une 'métalleuse ratée'. cette approche expressionniste à la forme nettement plus libre m'a ouvert de nouvelles perspectives de narration et permis de m'envisager comme une autrice de classique contemporain plutôt réussie. en me libérant des contraintes d'une structure codifiée et rigide (aka "si j'ai envie de faire de la musique sérielle avec 15x ma voix et aucun instrument, j'ai bien le droit)

https://craftopi.art/notice/Am1MvKKOzkMH3lhIwq

Mais c’est précisément la litanie de struck everywhere qui m’a foutue par terre. Björk a parlé de lui, je crois, en disant qu’il se servait de sa voix comme un instrument de musique. Elle parlait de l’aspect boom box et de ses jeux de polyphonies rythmiques avec des multieffets et sa loop machine, mais c’est personnellement vraiment sur cette chanson que ça m’a percutée. Jamais j’ai entendu une voix aussi pure. Aucun effet de fioriture, une gestion du souffle alternant de linéaire à explosive, des notes d’une justesse effarante. Je me suis dit « séraphin » en l’entendant. Puis j’ai lu un autre article à son propos qui le décrivait comme « le nouveau Peter Gabriel », et j’ai souri. Je vois comment.

Cette chanson, cette nappe sonore hypnotique, continue, dans le fond, cette guitare bourdonnante qui te désoriente avec son panning extrême et cette voix séraphique qui te délivre sa litanie inlassablement, comme pour forcer son message jusqu’à ce que tu baisse tes défenses et le laisse t’atteindre… Je sais pas quoi te dire, moi. Ca m’évoque cette scène de Will Hunting où Robin Williams répète à Matt Damon « C’est pas ta faute… C’est pas ta faute… » jusqu’à ce qu’il s’écroule enfin. C’est pas un affect si lointain qui est véhiculé dans cette chanson. Et, à la première écoute, je me suis écroulée.

Puisqu’on parle du motivational board – sur lequel je ne comprends pas qu’il n’y ait jamais eu de photo de Nick Zammuto, maintenant que j’y pense – on va évoquer rapidement Adam Ben Ezra, puisque j’en ai parlé plus haut. Rien d’aussi transcendant que les autres en terme d’expérience personnelle, mais en digne successeur d’Edgar Meyer dont les pièces pour contrebasse ont incité la création de la toute première virtuosité pour l’instrument, il a compris comment exploiter l’immense potentiel de la bête, et le fait avec une inventivité et une classe jamais égalées. En plus il se paye le luxe d’être adorable et accessible, si vous avez l’opportunité d’aller le voir en concert faites-le, et prenez le temps de discuter avec lui à la fin. Pour la découverte je propose Intro où le monsieur va tout simplement dire les termes, the busker pour la composition incroyable en toute sobriété, et parce que cet enf.. ce brave monsieur ne se contente pas d’être un contrebassiste extraordinaire mais a aussi une voix à tomber, tumbada pour la route.

Et puis ça va aller pour cette fois, peut-être.

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