Faut-il se montrer sur Internet?

À l’ère du ‘tout numérique’, ma présence clignotante sur des pans sporadiques de la toile traduit un certain malaise que j’aurais bien des difficultés à expliciter : être vue m’a toujours été compliqué. Il y a la pudeur, bien sûr, que d’aucuns confondent volontiers avec de la timidité (il n’en est rien, vous vous trompez de canasson, je vous en assure) mais ce n’est pas le tout.

Je suis une créature paradoxale; férue de nouvelles technologies et décroissante, se piquant de musique punk comme de musique savante, rustre et raffinée, cette manie que j’ai de goûter la prose délicate des auteurs du siècle passé tout en jurant ponctuellement comme un charretier et de ne vouloir renoncer à aucun de ces deux extrêmes, voulez-vous bien, se prête difficilement à la constitution d’une ligne éditoriale cohérente.

Or, je le sais, on me l’a assez dit sur mon parcours, il me faut un projet, un concept, une identité reconnaissable et circonscrite. Il n’y a pourtant rien qui reflète mieux mon identité que les couleurs changeantes de ce foutoir sémillant qu’est ma production. S’il n’y a rien en ce bas monde de plus immuable que la mort, les taxes et mes passions, je change constamment. Je change d’avis, je change de goûts, j’évolue et outrepasse ce que j’ai fait, je répudie mon propre travail…

Peut-être est-ce là ma plus grande réticence : générer des attentes. Commencer à me laisser guider non plus par le plaisir et le besoin mais par l’approbation ou la désapprobation de qui me regarde. Devoir me policer pour me polir, rester toujours constante quant à l’étalon fixé par moi-même un jour où j’avais l’humeur de la chose juste et raffinée et ne pouvoir donner voix à mes râles du lendemain, non encartés dans cette image d’Épinal. Je suis navrée, je n’ai pas de concept. Les traces que je laisse derrière moi ne me résonnent pas même à moi-même: je les couvre et les enterre, aussi impulsivement que je les avais marquées en premier lieu. En vérité je tombe en désamour de ce que j’ai terminé dès que je l’ai achevé: ce qui est fait n’est plus à faire, tout est dit, ce n’est plus moi. Au suivant! Reine autoproclamée de l’autodafé, j’ai fait valoir mon droit à l’oubli bien plus que de raison, et je continuerais volontiers ainsi indéfiniment, portée uniquement par mes envies du moment, sans jamais laisser la moindre empreinte.

Seulement voilà : à ma grande surprise, ma chambre à écho ne me suffit plus. J’ai de plus en plus l’envie d’y inviter d’autres âmes pour voir comment y résonneraient leurs cris mais chaque rencontre me confronte à cette question confondante qu’à défaut de pouvoir y apporter une réponse claire et concise, je laisse en suspens juste assez longtemps pour éveiller les soupçons : « qu’est-ce que tu fais dans la vie? » Eh bien, plein de choses. Comment choisir une seule réponse à cette question quand justement j’ai refusé de faire un choix pour ma vie? On me demande de plus en plus régulièrement ma carte, un site, quelque chose à explorer, et me voilà qui bredouille comme si je peinais à admettre que je ne fais rien de mes dix doigts alors que si je n’ai pas une carte, ou un site, c’est parce que je n’ai jamais réussi à discriminer l’une de mes formes d’expression au détriment des autres.

Alors pourquoi pas un blog? Après tout, je peux tout y jeter en vrac: du dessin à la musique en passant par l’écriture et les légions du bricolage. Il y aura donc de tout, pêle-mêle, du pompeux et de l’irrévérencieux, du soigné et du rapide, de l’ancien et du récent, de l’inachevé et du peaufiné, du français, de l’anglais, du numérique, de l’antique, du salissant, et surtout beaucoup d’expérimental. Il est temps de publier réellement à mon image – sans contrainte de temps ou d’exigences, vous comprendrez j’espère – un joyeux bordel hétéroclite qui va sûrement changer de forme un demi-milliard de fois, dont je vais modifier, puis effacer, puis publier à nouveau les posts, changer les sections, modifier l’habillage, que je vais remplir de choses très travaillées et de choses idiotes, et chacun verra midi à sa porte (ou la prendra), avec pour seule contrainte auto-imposée de ne pas – aussi longtemps que cet hébergement me le permettra – effacer intempestivement cet espace, qu’il existe au moins un endroit où je puisse aller me faire voir.

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