Ce soir je suis allée me faire une toile et j’ai eu la chance de tomber sur On-gaku, dont je n’avais jamais entendu parler (en fait j’étais tombée sur la scène de course-poursuite mais impossible de me souvenir où, et je n’ai réalisé qu’une fois dedans).
Film d’animation nippon un peu curieux, il nous a été présenté comme étant le fruit de sept ans de travail d’une petite équipe interlope, animé dans un mélange de celluloïde et de rotoscopie, « à l’ancienne », donc ça partait déjà bien pour me faire plaisir.
Et puis ça parle de musique. Et ça en parle bien, étonnamment bien, bien mieux que tout ce que j’ai vu dans un film jusqu’à aujourd’hui. Déjà il se sert de la musique pour appuyer sa narration, le sound design en lui-même est impressionnant, si t’as l’occasion de le voir en salle fais ça de préférence, le panning est mis à profit d’une façon vraiment peu habituelle, il a une spatialité de guedin.
C’est un peu un film « d’initié », aussi. Je me suis levée en sautillant et en agitant les bras en plein milieu de la salle de cinéma en repérant des références plus ou moins discrètes à un artiste, une pochette d’album, une blague sur le milieu de la musique.
Il est à hurler de rire. Ne serait-ce qu’à cause du rythme, qui sert beaucoup de ressort comique, et ce genre de comique contextuel absurde plutôt que lourdingue a toutes mes faveurs. Il y a une scène en particulier qui m’a fait exploser de rire plutôt bruyamment et longuement, ce que tu sais rarissime si tu me connais un peu, mais je vais pas t’en dire plus je te laisse découvrir.
Attention à partir de là je spoil comme une sauvage (clique sur les flèches pour dérouler le contenu)
C’est pas de la musique?
C’était une expérience super intéressante pour moi, en temps que musicienne, d’aller voir ce film avec quelqu’un qui n’a aucun lien avec cet univers. Lors de leur première répétition, nos protagonistes branchent deux basses et installent deux toms, puis sortent chacun sur leur instrument, qu’ils touchent pour la première fois de leur vie, une note unique. On voit l’étonnement, presque une sorte de choc, qui prend siège dans leurs regards, puis après un moment d’hébétement, ils se disent qu’ils ont aimé ce qu’ils ont vécu. Puis ils se mettent à jouer, intuitivement, sans aucune expérience, et produisent une litanie primale, au rythme très simple, quasiment sans mélodie. Le non-musicien à côté de moi me glisse à l’oreille « c’est pas de la musique, ça » et je lui rétorque « si si, c’en est déjà ».
Une seule note…
Sur le chemin du retour je lui fais remarquer que ça m’a beaucoup étonné de sa part, vu que c’est moi qui ai la réputation d’être une turbosnob de l’enfer avec la musique et que lui est plutôt pop-friendly. Il m’explique que non, c’est ce moment où ils jouent une seule note et restent scotchés qui selon lui n’était pas de la musique, et je lui explique que même après des années à être musicienne, c’est ce que je fais toujours. Dès que je branche ma basse sur un ampli, je joue un mi à vide, une seule note, que je laisse s’éteindre en vibrant avec elle, et c’est toujours une sensation électrisante, qui me saisit au fond de l’estomac et me fait trembler des pieds à la tête. On comprend ou on ne comprend pas, je suppose.
Trouver sa voix
On parle du personnage de Morita, réservé et discret, qui tremble de peur devant notre protagoniste Kenji et s’exprime d’une toute petite voix aiguë, qui se transforme et devient beaucoup plus assurée, plus ample, plus grave lorsqu’il chante. Mon compagnon de séance me dit « ça m’a fait penser à toi, à combien t’as une voix grave et rude quand tu parles mais quand tu chantes, elle est très aiguë et douce, c’est sa vraie voix comme c’est ta vraie voix ». Et je lui réponds que oui, nous sommes quelques uns comme ça, à fleurir dans la musique, en quelques sortes.
Se transcender
Ce film parle de ça, de cette pulsion, cet état si proche de la transe qui saisit certains musiciens, annihilant toute inhibition. Kenji, qui refuse de chanter tout le long du film, finit son set en saisissant le micro à l’improviste, recouvert de larmes incontrôlables et de morve, et pousse une série de hurlements chantés inarticulés, presque spasmodiques. Ça vient du fond des tripes, et ça prend aux tripes. C’est beau, dedieu. D’autant plus beau que c’est de la noise qu’ils nous jouent, et peut-être que ça pourrait faire comprendre dans la foulée à certains quel intérêt on peut bien trouver à ce bruitisme inaudible, mais je suppose que ceux qui ne comprennent pas la musique pour elle-même ne seront pas davantage sensibles à ce que raconte le film.
La fraternité
Une chose que je relève encore en temps que musicienne c’est la « wholesomeness », la bienveillance qu’ont ces musiciens entre eux. Morita et les deux musiciens (anonymes) avec qui il joue, qui font partie du « club de musique folk », sont de ces musiciens qu’on qualifie de « overly educated », avec une culture musicale très étendue, sûrement des années d’éducation académique à leur actif, et beaucoup de compétences techniques. Kenji, Ôta et Asakura, qui ont touché un instrument de musique pour la première fois littéralement dans la semaine avant de rencontrer les membres du club de musique folk, sont des brutes de cour d’école qui passent leur temps à se battre et terrorisent tout le monde. Et pourtant, lorsqu’ils se font face, ils sont respectivement abasourdis par la musique de l’autre, se félicitent, se reconnaissent et s’influencent mutuellement. Pas une seule fois il n’est question du manque de niveau des uns, du manque de patate des autres. On est là pour parler de musique, et d’elle seule. Pour apprécier la musique pour ce qu’elle est, et rien d’autre.
…et la réalité
Ce n’est malheureusement pas l’expérience que j’ai eue bien souvent de mes pairs musiciens, mais cette culture de la bienveillance et de la reconnaissance d’autrui, qui se centre sur une passion commune plutôt que sur la compétitivité, ferait bien de déborder du grand écran dans nos vies. C’est rafraîchissant, et c’est bien ça qui permet des expériences comme le rapprochement des deux groupes auquel on assiste le jour du concert.
En résumé, ça faisait des années qu’un film ne m’avait plus autant plu et je crois que c’est la première fois que je m’éclate autant dans un cinéma (maiiiis je vais voir Akira sur grand écran le mois prochain, donc ça risque d’être détrôné exceptionnellement vite). Je sors du cinéma avec l’envie de me remettre le film ce soir même et il a fallu que je rentre pour vous en parler vite-vite. Il se propulse assez haut dans la liste de mes films préférés, ce qui est un exploit parce que je suis aussi chiante avec le cinéma que je le suis avec la musique – et c’est pas peu dire. Files-y donc, tu m’en diras des nouvelles
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